Joshua, génois, miles nautiques, ris et noeuds

Le bateau m’était toujours apparu comme un monde à part, avec son vocabulaire et ses codes. Un monde dangereux aussi : être sur un navire, au milieu de l’eau, avec impossibilité de descendre en route, avancer au gré du vent, semblait hors de portée. Temps d’apprentissage, coût, risque, tout était réuni pour une expérience hors de portée.

C’était sans compter sur Thomas.

Au hasard d’une conversation, il y a deux ans, Thomas me dit qu’il envisage de passer plusieurs semaines en mer. Il a l’expérience, je le connais depuis longtemps, banco.

C’est parti pour 3 semaines entre Toulon, la Corse et la Sardaigne. 640 miles nautiques, soit presque 1,200 km pour un terrien. Le tout sur un bateau de location (Dufour 405). Partage des découvertes

Apprendre à utiliser ses ressources

Deux ressources clefs : l’eau et l’électricité. Manquer de l’un ou de l’autre n’est pas une option. On apprend donc à gérer et à être économe. Tu fabriques ta propre électricité. S’il n’y en a pas, cela devient plus … physique (par exemple pour remonter l’ancre). Tu ne mets donc pas toujours le frigo en marche, tu recharges uniquement quand nécessaire et tu fais attention à l’utilisation des pompes. Quand à l’eau, nous avons consommé 500 litres en 3 semaines (éventuellement explicable par la fréquence des douches…). Cela contre-balance nos 400 litres quotidiens à la maison.

110 litres de diesel, soit une consommation de 2,5 litres à l’heure. Au retour, le loueur nous a trouvé économes. Nous avons avancé doucement.

Quelques litres d’alcool, juste ce qu’il faut pour égayer les soirées

Pas de chauffage à bord : couverts chaudement et les duvets ont été nécessaires. Franchement, chauffer à 19°C, c’est pour les bobos.

S’adapter aux éléments

Moi qui ne regarde jamais la météo, j’ai dû changer mes habitudes… S’adapter au sens du vent et à sa force est plus que nécessaire. Nous avons trouvé refuge au port d’Olbia 4 jours pour cause de tempête. Nous avons dû nous adapter, trouver des mouillages pertinents, subir la houle la nuit. Avec comme obligation de faire avec ce qu’Eole nous fournit. Cela tranche avec nos habitudes de terriens. Tu apprends l’humilité…

Vivre à son rythme

Se coucher tot. Faire son quart entre 3h et 5h du matin. Faire la sieste. Profiter du temps qui passe. Faire la cuisine lentement, prendre son temps pour profiter, autant de re-découvertes. Les journées sont rythmées et plutôt contemplatives.

Ne rien faire sans s’ennuyer

Au départ, la question était : « serons nous capables de faire tourner nos entreprises en bateau ? » Réponse : Oui. Il y a déjà de la connexion 4G partout. Et Elon Musk avec Starlink rend possible le visionnage de Netflix au milieu du pacifique pour 100€ par mois. Cela change grandement la donne.

Sinon, lorsque nous ne travaillions pas, la lecture ou juste ne rien faire allait très bien. Très méditatif (surtout les quarts la nuit à regarder les étoiles).

Eviter les humains

Nous n’avons quasiment pas quitté le bateau. Les rares passages à terre ont été brefs. Je comprends mieux pourquoi les navigateurs apparaissent parfois comme des ours… Je retrouve les sensations de Compostelle… Cela dit, et c’est la découverte, je ne pense pas avoir envie de vivre cette vie sur une très longue période car cela manque de rencontres. Le marin vit avec d’autres marins, peu avec les autochtones (vérifié auprès d’un couple parti depuis un an et après lecture du livre de notre amie Bénédicte).

Retrouver les odeurs

Le mouillage du Lavandou (Anse Gau) a été caractérisé par l’odeur des pins. Celui de la baie de Lava par le maquis Corse. Comme en moto, tu vis différemment les étapes, plongé dans le décor avec tous les sens en éveil.

Vivre avec le bateau

Le bateau gîte franchement pas mal, à tel point qu’il faut vraiment bien se tenir. Puis, brusquement, il se cabre et se met face au vent, tout seul. « Ah, il est parti au lof » déclare Thomas tout sourire en sortant de la cabine « on va régler les voiles, le vent forcit ». La cabine d’ailleurs où les sensations sont beaucoup plus franches que sur le pont (tu ne vois rien, le bateau fait beaucoup de bruit)

Cet objet vit… pas forcément toujours rassurant, mais j’imagine que c’est comme la première fois que tu fais de la vitesse en voiture… on s’habitue

Un mode de voyage désacralisé … et presque accessible

Au bout de 3 semaines, le bateau est devenu un univers accessible.

Evidemment, je ne saurais pas partir seul car je n’ai pas les compétences. Mais finalement, la mer et la navigation ne sont plus de complètes inconnues. Une belle introduction. A refaire. Les tranches de Kiff à bord sont tellement présentes que c’est définitivement des sensations à retrouver.

Au final, c’est bien cela : on a peur de ce que l’on ne connait pas. Avec les bonnes personnes (merci Thomas), voilà un univers qui s’ouvre.

Un profond respect pour ceux qui ont navigué sans GPS, sans profondimètre et sans carte depuis les phéniciens jusqu’à Slocum et Moitessier.