Braver l’interdit

Il doit être 3 heures du matin.

Entre l’excitation, l’adrenaline de l’inconnu et le peu de lumière, j’ai perdu la notion du temps.

Il parait que cela arrive souvent la première fois.

Pour ne pas être en reste, je continue de suivre les habitués qui m’ont invité.

Nous entrons dans une pièce, une grande cave

Entre ombre et lumières, je distingue quelques silhouettes, hommes et femmes.

De rares éclairages, de faibles guirlandes électriques, c’est très tamisé.

On n’entend que des chuchotements

De la pièce d’à côté surgit les trépidations de rythmes électro africains.

Une odeur une peu âcre, faite d’humidité, de fumigène et d’autres essences.

Étonnamment, dans cette salle, la température est plus élevée qu’ailleurs.

Je perçois un escalier qui ne mène nul part, juste dans le plafond, sans ouverture.

Des bougies sont posées ça et là sur les marches

A tâtons, je me fraye un passage vers ce qui ressemble à une banquette.

Derrière moi, j’entends alors. 

  • « C’est quoi ton blaze ? »
  • « Gilles »
  • « Excuse-le, c’est mon touriste » corrige Pierrick. « Gilles, je t’ai dit qu’ici on ne donne pas son prénom »

Cet échange a eu lieu quelque part sous le jardin du Luxembourg, dans les catacombes*

Pas les catacombes officielles, pas celles de la ville de Paris pour lesquelles les américains font la queue place Denfert Rochereau. 

Les vraies catacombes, les souterrains interdits sous Paris et sa banlieue. 

Tout cela a commencé une fin d’après midi vers la Porte d’Orléans. Je suis en moto quand j’aperçois des personnes avec des bottes de pêche type cuissardes (bottes d’égoutier, pas du Louboutin). Piqué par la curiosité, je les suis du regard. Ils regardent subrepticement à droite puis et à gauche, s’arrêtent devant ce qui ressemble à une bouche d’égout, l’ouvrent et descendent. La trappe se referme. Cela a duré 2 minutes. 

Ça y est, j’ai identifié une entrée. 

Comme je ne suis pas fou, je ne souhaitais pas descendre seul. Dans ma chronique de retour sur 5 ans décriture (c’est là où on voit si tu suis), j’ai demandé des contacts pour descendre. Et forcément quand on cherche on trouve… (merci @olivier d’ailleurs pour avoir réagi). 

Rendez-vous pris un soir vers 23h avec une personne que je ne connais que très peu. Sur moi : un pantalon qui en a vu d’autres, chaussures de marche, quelques bougies, lampe frontale, whisky, biscuits apéro, piles d’avance. Le tout bien emballé dans un sac étanche. 

J’attends

Pierrick surgit de l’ombre. On echange trois phrases, nous retrouvons devant la bouche d’égout et hop. Fermeture de la trappe. Nous y sommes. Un tres long escalier en colimaçon descend dans les entrailles de Paris. 

Passeront des salles mythiques, comme la plage avec sa fameuse fresque reprenant Okusai, le cinéma (des peintures qui évoquent de nombreux films, il paraît que certains font des projections), des rencontres rapides, et des discussions dans un silence feutré. 

Un monde où les générations se mêlent, avec du respect (je descends avec des cataphiles de l’âge de ma fille), et beaucoup de créativité. 

Et surtout la découverte d’un monde underground avec ses codes, son langage (FC qui n’est ni le fluorocarbure ni Football Club), ses clans et ses légendes. 

La population est plutôt jeune (moins de 30 ans), bigarrée. Un peu comme sur Compostelle, on ne te demande pas ce que tu fais en surface. D’ailleurs on ne veut pas non plus connaître ton vrai nom. 

Ça fume, ça discute et picole. Ambiance bon enfant. Une grosse dose d’histoire car ces lieux s’abordent avec respect. Pensée émue en passant sous l’hôpital sainte Anne où les malades mentaux étaient littéralement jetés dans des trous. De même sous une école où chaque promo va créer une fresque. 

L’ombre de Xavier Niel traine également. Il a d’ailleurs racheté un bunker de la secondaire mondiale pour en faire un data center… je comprends mieux maintenant cet intérêt entre braver l’interdit, découvrir des lieux au dessus desquels je passe tous les jours, échanger sans fard et avec respect. 

Et si tu es intéressé, ne fait pas comme ces deux cretins avinés que nous avons croisé, en mocassins, sans carte, sans guide et qui sont descendus par hasard, avec pour seule lumière celle de leur portable et un briquet. Ils ne ressortent pas toujours. 

En tous les cas pour ma prochaine descente j’ai trouvé un blaze : « Daron »

* mes propos t’auraient ils laissé pensé que j’étais ailleurs ? 😉