Que les esprits voyeurs se calment : ce n’est pas moi qui ai été convoqué au tribunal…
Pour ceux qui ont des ados, il est un moment où le dialogue est plus tendu, un moment où certains choix se font. Charlott(1), notre ado, après avoir regardé la série Suits, a émis l’idée de devenir avocate. Forcément, quand on voit le bureau d’Harvey Specter à New-York et les tailleurs de Jessica, cela donne envie.
Les occasions pour échanger posément sur ses aspirations professionnelles sont rares, provoquons les ! Du coup, nous avons passé une matinée au tribunal de Grande Instance de Paris pour une plongée en terre inconnue, sans Frédéric Lopez.
Arrivée le matin, bien organisée. Fouille, on sent la surveillance et on change d’ambiance. Les lieux sur l’ile Saint Louis nous plongent dans les polars. On n’est pas loin du quai des Orfèvres, je m’attends à voir Mesrine ou le commissaire Maigret surgir.
Mon objectif était les comparutions immédiates : c’est varié et j’avais lu que c’était abordable pour une première fois. Pas de chance, ce sont les vacances judiciaires, du coup pas de comparution immédiate. On nous envoie pour voir s’il y a un procès d’assises intéressant. Rien de prévu et je ne veux pas commencer par cela. Car j’ai potassé un peu avant de venir pour savoir où nous mettions les pieds. Décomposition (je schématise, le détail ici ):
- comparution immédiate : juste après la garde à vue, uniquement pour les délits
- tribunal correctionnel : emprisonnement jusqu’à 10 ans
- assises : crime dont la condamnation dépasse 10 ans
On zappe les assises : c’est très long et peu recommandable pour Charlott.
Direction la cour d’appel, sur les conseils de la personne de l’accueil, très sympa (du genre « mais qu’est ce que j’ai aujourd’hui de sympa ? voyons voyons, non, les expertises ça va être rasant, cette cour là, ce sera bof. Ah oui, la cour d’appel, c’est varié et ce n’est pas trop long, pas mal pour une première fois »).
Arrivée dans le tribunal
Des juges exclusivement féminines. Nous nous asseyons discrètement : peu de monde (une dizaine de personnes) et le premier appel commence. Affaire d’images pédo-pornographiques. Je deviens livide : pour une première expérience, c’est chaud pour une ado de 15 ans. J’écoute, tout en me disant que si cela devient trop glauque, on sortira. M. X a été condamné pour avoir regardé des photos pédo-pornographiques sur son ordinateur, saisi. Des antécédents d’exhibitionisme…
Charlott écoute, et prend des notes (je suis assez étonné), elle écoute les juges, le demandeur, Madame la procureure, l’avocate, puis le demandeur.
Rapidement, la technique Internet est abordée, ce que ma fille comprend (contrairement à certains dans la salle) : « promis madame le juge, je n’ai pas cliqué sur les liens, j’ai peut– être fait des recherches sur des termes, mais je n’ai pas cliqué ». La situation du demandeur (âge, situation familiale, emploi, salaire) sont déclinés. Sans tomber dans Zola, cela montre également à ma fille que tout le monde n’évolue pas dans les mêmes conditions. Sur la partie exhibitionnisme, les explications de l’intéressé (« on m’a volé mes vêtements mais mes agresseurs m’ont laissé mes baskets parce qu’elles étaient trop pourries » et « de toute façon c’était pendant les vacances scolaires ») font sourire ma fille. Decision de la cour dans 2 semaines.
Deuxième demandeur
Une décision : appel accepté et relaxe. Cela dure 3 minutes. La personne comprend tout de suite. Soulagée, elle quitte le tribunal.
Troisième affaire
Le prévenu est absent, mais sa famille est là. Le juge principal donne la décision : personne absente, l’appel est rejeté. Les parents ne comprennent pas et l’huissier leur explique que c’est terminé, que la condamnation est confirmée et que c’est trop tard. Incrédulité (« donc notre fils va en prison ? » « oui Madame »).
Quatrième affaire
Une histoire de bagarres entre amants. La personne présente se défend « Je ne suis pas homosexuel, j’héberge un travesti brésilien par charité ». Si ce n’est la lecture à voix haute des SMS qu’ils s’échangent (pas forcément ce que j’aurais voulu que ma fille entende), l’affaire est assez éducative car on voit le rôle de chacun. Le demandeur se défend, l’avocat convainc. Sur plan judiciaire, c’est assez intéressant.
Et les affaires s’enchainent. Au bout de 2 heures 1/2, Charlott en a marre. Nous sortons silencieusement.
Ce qui frappe à la fin de cette journée, c’est le nombre d’affaires liées au sexe (70% de ce que nous avons entendu ce jour là). Je ne sais pas si cela a affirmé la vocation de ma fille. En tous les cas, je conseille l’expérience à tous. Il s’agit d’un monde différent, avec ses règles et ses process. Appréhender la justice de son pays et ses rouages est une démarche que nous tous, citoyens, devrions tenter. Les plaidoiries ne sont pas aussi grandiloquentes que celle de Luchini chez Lelouch. C’est là où l’on se rend compte qu’avoir un bon avocat peut grandement changer la donne (nous ne sommes pas vraiment tous égaux devant la justice).
Et la conclusion cruelle de Charlott : « de toute façon, ils étaient tous coupables, ça se voyait sur leurs visages » ; Du coup, je lui ai montré une photo de Patrick Dils. De la matière pour de longs échanges…
Quelques liens pour ceux qui veulent essayer (à Paris, valable dans toutes les villes de France) :
Et un livre vraiment intéressant : Les grandes plaidoiries.
(1) ce n’est pas une typo, Charlott ne prend pas de « e » (enfin pas pour ma fille)