James Bond existe

Question anodine à Lionel* au détour d’une conversation :

  •  « il y a 2 mois, tu étais injoignable, où étais-tu ? »
  • « Au Soudan »
  • « Le Soudan, ce n’est pas un pays en guerre, ça ? »
  • « Si »
  • « Question bête : qu’est ce qu’un gars comme toi fait au Soudan ? »
  • « Je suis allé chercher des gens qu’il fallait ramener chez eux »

Et c’est comme ça que ça a commencé…

Lionel* est un taiseux. Un regard bleu acier, un physique de baroudeur et une fâcheuse tendance à ne pas répondre aux questions (et tu comprends très vite qu’il ne faut pas insister). 

5 ans que je le connais. Il a visité des endroits exotiques (Chili*, Paraguay*, Bolivie* et donc Soudan), c’est un genre de Mac Gyver, ultra débrouillard, extrêmement calme et parfois injoignable pendant plusieurs semaines. A l’entendre (peu) parler tout est normal…

Et pourtant…

Après plusieurs approches, je me lance :

  • « Donc si je comprends bien on demande à un guide de montagne, certes chevronné, d’aller chercher des personnes dans un pays en guerre et de leur faire passer la frontière. Sauf erreur de ma part, il n’y a pas de montagne au Soudan »
  • « Non mais quand tu as déjà fait ça, on t’appelle »
  • « donc ce n’est pas la première fois. Quel autre pays par exemple ? »
  • « (Lionel me cite un pays actuellement en guerre) »
  • « Effectivement là il y a des montagnes »
  • «  J’avais formé des personnes de ce pays. La guerre arrivant, disons que j’ai facilité certaines choses. Ça s’est su. On te contacte… tu coches certaines cases (j’ai fait mon service comme tireur d’élite, je suis guide de montagne, j’ai pas mal voyagé et ai fait des trucs aventureux). Et donc on t’appelle. On te confie une première mission et puis ça s’enchaîne. Personnellement ça me plaît. Je me glisse dans la peau de personnages. »
  • « Et personne n’est au courant, pas même ta fille ? »
  • « non personne »
  • « Tu ne voudrais pas qu’elle sache ? »
  • « Pas maintenant car je suis toujours en activité »

J’ai donc eu la chance de rencontrer un Philippe de Dieuleveut vivant. Un gars sous des abords normaux (certes en forme) et qui fait des trucs qu’on ne voit que dans les films d’espionnage sérieux 

Morceaux choisis d’éléments échangés

Recevoir les missions

Là, comme tout quidam je lui demande comment il reçoit ses ordres de mission.

  • « Comme M. Phelps de mission impossible : avec un message qui s’auto détruit ? »
  • « Non, beaucoup plus simple et moins romantique : un appel de l’ambassade, un rendez vous de briefing puis voyage vers le pays de rattachement pour briefing en détail. »
  • « Et une fois sur place ? »
  • « Arrivée avec passeport diplomatique ou un passeport touriste sous un nom d’emprunt. Une fois « sur zone » prise de contact et élaboration de l’extraction. »

Pourquoi toi ?

« Pourquoi ne pas faire appel à des forces spéciales, comme dans les films ? « 

« Tout simplement parce que Rambo ne passe pas inaperçu. Dans le cas d’exfiltration, il faut des personnes qui passent partout. Pour qu’une personne sorte d’un pays discrètement, rien de mieux qu’un groupe de touristes avec un guide et qui font une ballade à pied, en vélo ou en ski. »

Ce que j’en retiens

La confiance que m’accorde Lionel est une sacrée responsabilité. Le poids du silence a l’air assez important. Passer une vie à mener des actions extra-ordinaires (au sens premier du terme), mais ne pouvoir en parler à personne, voilà qui est dur. Tout ça pour quoi ? Un état ? L’adrénaline.

Ce n’est pas la première fois que je suis confronté à cette situation

Il y a environ 20 ans, un ami me confie qu’à l’enterrement de son père, un homme assistait en silence à la célébration. Une fois tout le monde parti, cet homme est venu voir le fils et lui a dit « Vous ne le savez pas, mais votre père a rendu beaucoup de services à notre pays. Si vous avez un jour besoin d’aide, appelez moi ». Il lui donne sa carte : Philippe Rondot. Et c’est ainsi qu’un fils a fait la connaissance de son père. Il a ensuite réfléchi à son enfance et a compris : moult déménagements, des pays africains parfois un peu tourmentés, un père souvent absent. Il a souvent regretté ne pas avoir eu l’occasion de discuter avec son père.

C’est aujourd’hui à la fille de Lionel à laquelle je pense…

* Comme dans les histoires sérieuses, les noms et lieux ont été changés