Chronique (malheureusement) d’un banal achevé

Le décor : Salon professionnel. Tu connais l’ambiance : sourire, répondre aux questions, rester debout et faire des contacts.

Sur le stand, Stacy, 25 ans, sympathique et professionnelle.

Passe un visiteur, dans les 55 ans.

Sourire aux lèvres.

Il m’apostrophe.

– « Vous ne savez pas la chance que vous avez ? »

– « pardon ?! Oui certainement, à quel sujet ? »

– « Non vous ne savez pas quelle chance vous avez…Vous avez vu comme elle est mignonne. Elle est drôlement belle votre collègue, moi si j’avais une collègue comme cela j’aurais de la chance ». 

Bon là je comprends qu’il est très fier de sa sortie.

Mine gênée de Stacy. Aucune répartie ne me vient. Je change de sujet (pour être honnête je ne sais même plus ce que je dis). Stacy ne dit trop rien (le visiteur est vieux et lourd, que dire ?!). On commence à parler d’un autre sujet. Puis,comme le quidam est plutôt inintéressant, je me tourne vers mon associé et m’éloigne un peu. Je reviens quelques minutes plus tard. Stacy ne parle plus, ce que je ne remarque pas trop. Je rejoins l’échange et passe sur un autre sujet. Le visiteur poursuit son monologue. Il est lourd, se plaint de la longueur des vacances.

Au final (enfin) il s’en va.

Je regarde Stacy qui ne bouge plus trop et ne dit rien. Elle me demande alors :

– « Ss-tu entendu ce qu’il a dit? »

– « Sur les vacances, oui, vraiment lourd »

– « Non, tu n’as pas entendu quand il a dit qu’il cherchait une femme comme moi pour du sexe ?».

– « …  non, c’est pas vrai ?! »

– « Cela faisait longtemps que ce ne m’était pas arrivé »

Et là, je me suis trouvé con.

Je n’ai pas su quoi dire ou faire, complètement sidéré. 

Des misogynes qui font des remarques déplacées, il y en a, mais je pensais que cela faisait partie du passé.

Et bien non. 

Le soir arrive, je partage l’épisode avec d’autres exposants.

Commentaire d’une collègue dans les mêmes âges :

« Cela arrive tout le temps. Ce matin à l’hôtel j’ai demandé un fer à repasser, deux hommes m’ont proposé de venir repasser leurs chemises … et un peu plus. J’ai également été hôtesse pendant mes études. Nous sommes juste un bout de viande. Le commanditaire demande des filles de plus d’un mètre 70, brunes aux yeux bleus et bien foutues et tout le monde trouve cela normal. Beaucoup de clients y vont de leurs remarques débiles, se croyant dans la séduction ». 

Je tombe de ma chaise.

Un peu plus tard chacune y va de son histoire, toutes plus pitoyables.

Je repense alors à ce dîner où plusieurs femmes « dernière étage de la fusée » (lire top executives dans des grosses boîtes) ont eu un regard entendu lorsque je leur ai demandé si, vraiment, les mecs étaient aussi lourds que cela. 

Je réalise ce que vivent les femmes à être reluquées par des regards insistants, abordées par des hommes grossiers. 

Je pense à mes filles. Puis je leur demande

– « Camille, à 16 ans, tu as déjà subi des remarques comme ça ? »

– « Bien sûr »

– « Charlott ? »

– « Papa tu viens de quelle planète ? »

Certains diront que le phénomène #MeToo va un peu loin, que l’égalité à tout crin crée des inégalités. Qu’être un mâle blanc hétérosexuel de 50 ans n’est pas facile. 

Tu sais quoi ?! En réalité cela ne va pas trop loin. Cela fait 10,000 ans que les femmes subissent. Il est temps que ça change. Il est temps qu’on prenne pour tous les débiles qui existent encore. 

Ça commence avec les blagues sexistes qui banalisent, sous prétexte d’humour, un rapport déséquilibré (je sais jusqu’à il y a peu, j’en sortais une de temps en temps). 

Et depuis, à force de parler de cet épisode, Sandrine m’a appris la bonne réaction si cela arrive à l’avenir : faire répéter en parlant fort

« PARDON ?! JE N’AI PAS BIEN COMPRIS… VOUS POUVEZ RÉPÉTER ? ».

Généralement le décérébré comprend qu’il a dit quelque chose de déplacé. Et si cela ne suffit pas « Comment réagiriez vous si un homme disait la même phrase à VOTRE fille, à votre femme, votre sœur ou votre mère ? ». 

Stacy, désolé de m’être éloigné puis de ne pas avoir su comment réagir. Maintenant je saurai. C’est bien la seule chose à laquelle ce crétin aura servi. 

À tous les lecteurs de cette chronique : si tu penses que j’en fait des caisses, demande au prochain repas à une femme qui t’entoure la dernière fois qu’elle a entendu ce genre de gros dégueulasse (si t’as pas la ref, c’est aussi un album de Reiser)

Clin d’oeil intéressant pour montrer comment, parfois, c’est un peu insidieux et paternaliste…